Abstract

Corps dialectiques : recherche chorégraphique autour d’une esthétique de l’ambivalence, par Pierre-Marc Ouellette

Ce mémoire-création a pour origine une envie de créer malgré un sentiment d’inquiétude faisant obstacle à cette envie. J’ai interprété cette contradiction comme une ambivalence à créer. Dans une démarche interdisciplinaire alliant histoire de l’art et chorégraphie, et en compagnie des interprètes participant à l’étude, je tente de comprendre ce mouvement contradictoire. Pour y arriver, je modélise mon processus créatif à l’aide du concept de l’image dialectique de Walter Benjamin, étudié chez Georges Didi-Huberman. En outre, je propose de réfléchir à ma démarche créative à partir de l’idée d’un Corps dialectique.

Cette étude a pour cadre théorique la philosophie de Jacques Rancière, dont les notions de régime esthétique des arts et d’œuvre d’art autonome ont aidé à situer la démarche de création en regard des forces esthétiques et politiques qui la façonnent. Au fil de l’étude, l’idée d’un Corps dialectique se pensera dans la rencontre entre un sentiment d’ambivalence face à l’acte de créer et des outils conceptuels issus de divers domaines d’études (interdisciplinarité, histoire de l’art, philosophie et esthétique). L’étude s’inspire également de différentes démarches artistiques, et d’une collaboration créative avec l’artiste visuelle Manon De Pauw dans l’utilisation d’un dispositif lumineux, permettant d’activer un jeu formel avec l’ombre, et dans l’abord d’une approche performative en chorégraphie.

Cette recherche-création est de nature qualitative. Elle s’inscrit dans une démarche heuristique et use d’instruments de cueillettes de données d’inspiration ethnographique. À la fin du terrain, j’ai interviewé les interprètes participant à l’étude, tandis que je me suis prêté à une entrevue en entretien d’explicitation. La démarche réflexive s’est construite à partir d’un croisement entre les outils conceptuels, les données recueillies sur le terrain de la création et dans les entretiens, et par la méthode de l’Analyse en mode écriture.

Les résultats de la recherche mettent en lumière différentes stratégies créatives qui animent le processus de création chorégraphique par l’exploration de doubles mouvements et l’adjonction de différents modes compositionnels de la chorégraphie. Plus loin, la recherche m’a fait découvrir un principe créatif basé dans le dédoublement, ou une forme de dépersonnalisation, également perçue par les participants. En outre, les résultats ouvrent à un raffinement du modèle du Corps dialectique. Quant à la présence des ombres et de la pénombre, activées par le dispositif lumineux, elles suscitent une discussion sur les attaches sociopolitiques de ma démarche dans une critique de l’omniprésence de la lumière des appareils à écrans dans le monde actuel, et de son incidence sur notre liberté d’action. Or, puisque ce projet de recherche ne fait pas une démonstration directe d’un engagement politique, je propose d’inscrire ma démarche dans une autre ambivalence : celle d’une tension entre les domaines esthétique et politique, pensée à partir de la définition de l’œuvre d’art autonome chez le philosophe Jacques Rancière.