Abstract

Entre les îles de Hong Kong, un navire aux motifs roses et fleuris, réquisitionné par le gouvernement en 2014, emporte les morts vers la mer de l’archipel. Là, les morts engloutis sous la pression de l’urbanisation délaissent le cercueil et l’enterrement pour l’urne et « l’emmerement ». Tandis que les pratiques funéraires cantonaises insistent sur le soin portés aux morts à travers des gestes rituels pyrotechniques qui alimentent un souffle vital et accompagnent les défunts dans leurs trajectoires post-mortem, les rites funéraires ont depuis 2007 pris un tournant océanique. Les morts sont depuis lors l’objet de campagnes gouvernementales tintées d’une rhétorique environnementaliste incitant les vivants à disperser les cendres de leurs morts dans les « jardins du souvenir », ainsi que dans certaines zones océaniques. C’est sur ces nouveaux dispositifs de translation (et de respiration) des morts et leur « liquéfaction » en milieux océaniques, analogiques et numériques (au sein desquels il s’agit aussi de naviguer), que je suis partie enquêter entre mai et décembre 2021. Dans cette thèse de doctorat, je propose de contribuer aux études anthropologiques de la mort en m’intéressant aux trajectoires post-mortem des défunts à partir de leurs milieux médiatiques. En trois axes : virtualités, spectralités, et viralités, cette thèse explore la vitalité des morts, leurs modes d’augmentation, de dépotentialisation et de circulation dans l’industrie funéraire de Hong Kong. Pour appréhender les destins croisés des morts et des nouveaux dispositifs de deuil, j’ai accompagné différents « undertakers » ou employés funéraires, mais aussi des artistes, professionnels des médias et gamers devenus explorateurs urbains. Chacun à leur manière, ils et elles se font les « entre-preneurs » du deuil, prenant en charge la tâche consistant à faire de la place aux morts. Comment avoir prise sur des existences ténues qui nous glissent entre les doigts, celles des morts et celles d’un archipel en passe de devenir une île fantôme, engloutie par l’amnésie coloniale ? Cette enquête sur les traces des défunts se propose d’accompagner à son tour l’existence ténue des morts, de redonner un peu d'espace à ceux et celles qui nous habitent afin d’habiter différemment un territoire.